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Arkantz - Blog humaniste & républicain de vigilance
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24 juin 2007

Lettre ouverte à Raffi Hermonn pour « Mieux vaut une Turquie en Europe » dans Courrier International

Où sont les limites de l’Europe ? Il ne s’agit pas des limites géographiques mais politiques, historiques et culturelles. La question de l’intégration de la Turquie à l’Union européenne pose un dilemme à nombre d’Européens comme de Turcs, et parmi eux aux Arméniens qui vivent en Europe, en Turquie ou en Arménie. L’opposition à l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne des Arméniens de la Diaspora reposerait selon M. Hermonn à leur patriotisme et à leur attachement aux droits de l‘homme et à la démocratie. En effet, la question des droits de l’homme et de la démocratie est fondamentale, d’autant que dans un pays comme la Turquie le chemin vers ces principes est loin d’être entrepris.

On se souvient du fameux article 301 du Code pénal turc au nom duquel des intellectuels, des défenseurs des droits de l’homme ou des journalistes ont été traînés devant les tribunaux. Et s’il n’y avait pas eu de pressions internationales, il y aurait fort à parier que les condamnations seraient tombées. Parmi ces intellectuels poursuivis il y eut Orhan Pamuk, Elif Shafak, Ragip Zarakolu et Hrant Dink dont l’assassinat le 19 janvier dernier mit le monde en émoi. Pour étayer son discours sur la prétendue modernité de la Turquie, M. Hermonn met en balance la situation de l’Arménie envers laquelle les Arméniens de la diaspora, donneurs de leçons en démocratie et en droits de l’homme quand il s’agit de la Turquie, feraient preuve de complaisance. La situation en Arménie fait également débat parmi les Arméniens. Il faut croire que M. Hermonn vit dans un autre monde pour ne pas l’entendre.

En affirmant que l’Arménie préférerait voir en la Turquie voisine un membre de l’Union européenne tient également d’une interprétation personnelle. Il oublie de préciser que, grevée par son passé soviétique qui a laissé des séquelles dans les mentalités, l’Arménie essaie tant bien que mal de survivre, soumise au blocus imposé par la Turquie et l’Azerbaïdjan avec la complicité de la Géorgie. En conséquence, l’Arménie n’aspire qu’à une chose, être reconnue par la Turquie en tant qu’État avec des relations diplomatiques et pouvoir commercer librement avec elle. Toute l’argumentation développée sur un soi-disant désir de l’Arménie d’avoir l’Union européenne à sa frontière par Turquie interposée relève de la malhonnêteté intellectuelle.

Si l’enfermement génocidaire (abordé dans un précédent article « Génocide donc je suis ! ») est réducteur pour les descendants et les rescapés de ce crime contre l’Humanité qu’est le génocide, l’amendement du criminel ou de ses ayants-droit n’anéantit en rien l’identité des victimes et de leurs descendants. Il les libérera du poids du tombeau qu’ils sont devenus pour leurs morts. Cela M. Hermonn semble l’ignorer.

Loin de se limiter à ces considérations, M. Hermonn nous présente la Turquie comme un creuset réussi du multiculturalisme que découvrirait l’Europe. De quoi veut-il nous parler ? Il met en avant la coexistence de toutes les religions dans une Turquie (et par extension dans l’ancien Empire ottoman) tolérante. L’argument pourrait prêter à rire. En vérité, les dhimmis ou les citoyens non-musulmans, même si certains d’entre eux occupaient de hautes fonctions dans l’Empire comme les Amiras, n’ont été considérés par les autorités qu’en tant que sujets de seconde catégorie que ce soit devant les tribunaux ou face à l’administration. M. Hermonn omet de citer qu’en 1942, la République turque fondée par Atatürk mit en place un impôt sur la fortune discriminatoire qui pénalisait à fortune égale plus les non-musulmans que les musulmans ; son non-paiement était passible de la saisie des biens, de l’arrestation et de la déportation en Anatolie, à Askalé, dans la province d’Erzeroum ; dix à douze mille personnes subirent ce sort, et beaucoup disparurent. Plus près de nous, il passe sous silence les insultes à l’identité turque reprochées à Elif Shafak pour les propos tenus par les personnages de son roman ou à Hrant Dink qui en a payé de sa vie – il n’aura été blanchi en justice qu’après sa mort. Quant aux tabous qui auraient été brisés en Turquie, ils ne sont le fait hélas que d’une minorité d’intellectuels en danger. Preuve en est que certains d’entre eux ne vivent même pas en Turquie. Et ils sont loin de faire l’unanimité dans un pays où le mot « arménien » reste une injure.

Faire accroire que l’adhésion de la Turquie permettrait de renforcer les droits de l’homme et la démocratie tient de l’utopie dans un pays déchiré entre modernité et obscurantisme, entre laïcisme et islamisme, entre jeu démocratique et menace de coup d’État militaire, sans oublier sa proximité avec des foyers d’insurrection ou de guerre tels le Kurdistan ou l’Irak.

Le prétendre c’est faire le jeu des affairistes et des partisans du libre-échange qui voient en la Turquie un juteux marché pour leurs grandes et leurs petites entreprises comme leurs marchandages qui se moquent bien des droits de l’homme et de la démocratie.

Carl E. ARKANTZ
www.arkantz.com


Source : Courrier International

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  • Arkantz est mon nom de plume. S'il commence par A et finit par Z, ce n'est pas un hasard mais un hommage à un artiste auquel je suis apparenté. Consultant-formateur engagé, je m'inscris dans une vision laïque, humaniste et écologiste de la société.
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