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Arkantz - Blog humaniste & républicain de vigilance
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19 avril 2010

Un stage de taille

Un métier… Une rencontre

Lorsque j’ai parlé de partir en stage pour apprendre à tailler la pierre, j’ai suscité autant de curiosité que d’admiration. En fait, je ne savais pas ce qui m’attendait, n’ayant comme référence que le roman de Ken Follett Les piliers de la terre Venu du Morbihan, notre maître de stage n’est pas Tom le bâtisseur, mais Jean-Fred Berger, un maître tailleur de pierre. Pour six d’entre nous complètement novices en la matière, ou plutôt dans la pierre, l’approche de ce métier est une réelle découverte ; une seule personne de notre groupe a déjà effectué ce stage en initiation et perfectionnement. Nous sommes donc toutes ouïes en cette veille de « chantier », assis autour de la même table. Le contact est simple et chaleureux. Jean-Fred se présente, décrit son parcours et aborde son métier. À dix-sept ans, il voulait être maçon. C’est par un de ses professeurs, épouse et fille de compagnon, qu’il va s’orienter vers le compagnonnage chez les Compagnons du Devoir et se destiner à la taille de la pierre. Il nous parle des différents types de pierre ; la roche primaire (le granit issu du magma, le basalte, la pierre noire d’Auvergne, la pierre de lave) ; la roche sédimentaire comme l’ardoise ; la roche organique comme le calcaire ; la roche minérale comme le grès ou métamorphique, le marbre.

Chaque pierre a son histoire, sa région et son approche.

Le premier jour, nous arrivons sur le site de l’abbaye de Notre Dame de Lieu-Restauré (Bonneuil-en-Valois – Oise). Nous faisons connaissance avec Jean-Luc et David, déjà sur le site. L’abbaye et ses dépendances ont été arrachées de l’oubli, il y a quarante-six ans par des bénévoles. Quatre mètres de terre et de gravats ont été déblayés pour redonner aux bâtiments une seconde vie, celle de la restauration. Tant que cette dernière dure, le site reste vivant. Il nous appartient désormais de considérer la pierre comme autre chose qu’un simple élément d’un tout, mais comme une matière vivante. C’est par le choix de nos pierres que commence notre travail. Un tumulus est offert à nos mains et à nos yeux de profanes. C’est parmi ces pierres de tailles et de formes différentes que nous devons choisir. Comment choisir ?

Certains préfèrent des pierres de petite taille ou de forme régulière, mus plus par une attirance instinctive ou un calcul que par le véritable regard du professionnel. Jean-Fred intervient pour sélectionner les pierres qui trouvent grâce à ses yeux, à nous de réserver la notre parmi celles-ci.
La sélection terminée, il faut porter le matériau sur le chantier où les outils nous attendent, maillet ciseaux, laies, brosses, règles et équerres. Les pierres les plus grosses doivent être sciées ; les autres sont disposées sur nos chantiers ou établis que le maître nous attribue en fonction de notre stature ; le plan de travail doit être à hauteur de la ceinture ; certains seront rehaussés pour permettre un travail optimal. L’heure n’est pas encore au maniement de l’outil. Jean-Fred nous réunit pour un exposé sur le métier de bâtisseur. Et le voyage commence par l’Égypte des pharaons. La manière de travailler comme les principaux outils sont les mêmes depuis cette haute Antiquité.

Les outils sont alors en bronze ou en cuivre. Les Égyptiens ont déjà tout inventé. Ils ont l’art de la géométrie dans l’espace. Les bâtisseurs forment une caste d’initiés. Et c’est avec Imhotep que l’architecture égyptienne marque une évolution avec le passage de la brique séchée à la pierre taillée.

Les Grecs vont améliorer l’art de construire grâce à l’utilisation du fer. Ils créent le style ionique, dorique et le corinthien ; puis ils exportent leur art dans le monde méditerranéen notamment avec les conquêtes d’Alexandre. Les Romains qui leur succèdent vont développer le formatage de leur concept de la cité. Constructeurs de routes comme vecteur de leurs conquêtes militaires, ils vont imposer leur schéma de la cité romaine partout dans leur empire.

Cet héritage, l’église romaine va le poursuivre. La pierre reste le matériau sur lequel elle va asseoir son pouvoir. Ce sera l’âge d’or des cathédrales, églises, collégiales, abbayes et monastères dans le monde chrétien, en occident mais également en orient, où dès la fin du 4ème siècle apparaissent les premières églises.

La pierre

La pierre organique ou sédimentaire s’est constituée à partir de squelettes d'animaux marins. La compression par la mer et la sédimentation en banc ou lit, séparé par des couches minérales ou bousins donne le sens de la taille par les strates. Suivant la finesse du grain, la pierre a différentes duretés.

La pierre est un volume dans lequel le tailleur doit créer un plan sur chacune de ses faces. La vision tridimensionnelle de la pièce finie doit être présente dans l'esprit du tailleur à partir de la pierre brute à dégrossir ou à dégauchir. À l’origine, les marques de taille étaient visibles. On le voit encore sur les monuments médiévaux. Les églises du Moyen-âge étaient en effet blanchies à la chaux afin de rayonner en renvoyant la lumière, et ce en référence à la Jérusalem céleste. Les marques permettaient de mieux accrocher la peinture. La Renaissance et l’architecture du 17ème siècle vont privilégier la pierre lisse avec l’utilisation de rabots ou de chemins de fer comme le guillaume. La démonstration avec force bruits et moult poussières suffit à nous dissuader de vouloir utiliser cette technique.

Le rapport de la main munie de l’outil avec la pierre est au commencement hésitant ; la peur de mal faire est présente dans notre esprit. On essaie de reproduire le geste juste et sûr qui nous a été montré, mais l’approche est malhabile et lente. Il est étonnant de noter que petit à petit chacun se concentre sur son ouvrage, tout en continuant à échanger des propos ou des impressions. La manière de travailler est révélatrice du caractère, la pierre joue le rôle de miroir. Et plus on avance, plus on se rend compte qu’imperceptiblement ce n’est plus le tailleur qui impose sa taille à la pierre, mais la pierre qui guide le geste du tailleur. En prenant une forme régulière et plane, la matière brute acquiert une part de noblesse. Le travail est physique. Chacun trouve son rythme, la main apprécie le travail de taille, aidée par l’œil. Le geste n'est pas facile à acquérir. Il est plus naturel et rapide avec le maillet et le ciseau pour projeter le tracé sur le contour de la pierre afin d'ébaucher le plan.

Cette ébauche va servir de guide pour finir de plan. Une fois le contour dégagé en suivant le tracé, le tailleur attaque la matière restante avec la laie ou l’herminette. Certaines ont un double tranchant lisse, d’autres ont des tranchants munis de dents de différentes largeurs. La tenue de l’outil, le manche près du corps et la position de la lame sur la pierre, ainsi que la fréquence de la frappe sont déterminants pour un résultat probant. Réaliser une face est un travail de longue haleine, le faire dans les règles de l'art tient du prodige pour un apprenti tailleur. Nous sommes très loin de l’acceptable. Mais plus que le résultat ou la performance, le principal est de comprendre l’art et la manière et de savoir se placer par rapport à la pierre pour conserver un rapport frontal. En fait d’initiation à la taille de la pierre, nous prenons une leçon de vie. Une nuit de sommeil sera nécessaire pour enregistrer les connaissances. Il est vrai que le lendemain, le geste semble plus sûr. Mais il est loin d'être acquis. Le froid et la fatigue aidant, il devient moins évident. Le passage au maillet et au ciseau est étrangement plus difficile.

Une autre approche de la vie

Loin du bricolage du dimanche ou du montage de meubles en kit, ce stage de tailleur de pierre dans le cadre d’un site médiéval nous a ramené vers une autre réalité de la vie, celle des opératifs. Cela nous a aussi appris à travailler en équipe, tout en étant seul face à nous-mêmes avec notre pierre. Le partage et les échanges se sont poursuivis au cours des repas pris en commun sur le chantier. Nous avons également mieux compris la noblesse du travail manuel et la richesse de la transmission du savoir. Enfin, nous n’aurons désormais plus le même regard sur la pierre des édifices qui ont traversé les âges de la pyramide à la cathédrale.

 

Serge DURMAN
Avril 2010

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  • Arkantz est mon nom de plume. S'il commence par A et finit par Z, ce n'est pas un hasard mais un hommage à un artiste auquel je suis apparenté. Consultant-formateur engagé, je m'inscris dans une vision laïque, humaniste et écologiste de la société.
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