Rappel
L'humeur du jour...
Au lendemain du premier tour des élections présidentielles, la France s'est réveillée avec la gueule de bois. Une gueule de bois électorale, bien entendu. Les mots comme les superlatifs n'ont pas manqué durant la soirée : séisme, chaos, choc...
Aucun institut de sondage n'avait vu venir, aucun politologue non plus. Dans le Prince des Faces, j'aborde cette éventualité. Était-ce une prédiction ? Car on peut lire, chapitre 15, comment un tribun d'extrême droite, le Légionnaire arrive à la magistrature suprême en détrônant son rival, le président sortant.
On me rétorquera : « Facile de clamer après coup.»
Je dirai aux critiqueurs que le roman est déposé depuis mai 2001 à la SGDL sous pli scellé, donc bien avant les faits.
Serais-je politologue ? Non, je n'en ai pas l'ambition. J'ai juste pris le temps d'observer autour de moi, dans ces quartiers que l'on dit difficiles, comme Argenteuil par exemple où j'ai vécu.
Il suffit de prendre un train de banlieue chaque jour, parler avec les gens pour les comprendre.
Le drame vient de la désaffection des électeurs pour un enjeu d'importance, de la distanciation ressentie entre ces électeurs et leur classe politique.
Voter est un droit, c'est aussi un devoir civique. Il suffit de le lire, c'est écrit sur la carte (d'électeur).
Retrouvez sous ma plume l'Edito du mois consacré à ce premier tour.
Bonne lecture...
Bien littérairement vôtre,
Avril 2002
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Après le 1er tour...
Tout le monde a été surpris au soir du premier tour des élections présidentielles. Pourtant, Arkantz, romancier, l'avait écrit. Bien que fantastique, son roman inédit " Le Prince des Faces ", terminé en 2000, prédit cette issue. Voici un extrait du roman (déposé à la Société des Gens de Lettres de France sous le N°2001.05.0302 le 18 mai 2001), tiré du chapitre 15, à vous de juger :
LE "Légionnaire" contemplait le masque échiqueté de pourpre et d'or sous toutes les coutures comme on examine un trophée. L'homme avait le visage carré avec une mâchoire large ; sa lèvre inférieure était plutôt molle ; son sourire carnassier ; les cheveux, coupés courts, étaient devenus blonds à force de décolorations successives qu'il s'était imposées pour passer du châtain moyen originel à une teinte plus nordique. Et ses yeux bleus acier presque transparents ajoutaient à la dureté de l'ensemble.
De Hué à Dien Bien Phu, de Blida à Alger, du Biafra à Kolwesi, son parcours de combattant avait été jalonné par la mort et le sang. Démobilisé en 1978, après une blessure à la tête et une trépanation, le "Légionnaire" avait réalisé son vieux rêve, entrer en politique. Il avait créé un groupuscule d'anciens militaires comme lui, de patriotes et de revanchards, férus d'ordre, de discipline, de travail, de patrie, de religion. De caveaux en arrières-boutiques, de cafés en salons, le groupuscule s'était étoffé. Autour de ses fondateurs étaient venus se greffer les nostalgiques d'un ordre ancien ou d'un ordre nouveau suivant les modes, des aigris, des laissés pour compte, des retraités apeurés, des jeunes désemparés en quête d'idéal ou de repères, des chômeurs. Toutes les professions étaient représentées ; tous les milieux aussi, sans distinction de race, de couleur ou de confession. Petit à petit, au fil des élections, "Patrie & Nation" avait fait son trou dans la cour des partis traditionnels.
Les scandales aidant, les politiques au pouvoir accusant échecs sur échecs, jusqu'à se discréditer auprès de leurs électeurs, "Patrie & Nation" s'affichait comme un recours possible. Pourtant, insensiblement, le pays prenait des allures de régime totalitaire. Les opérations de prévention anti-terroristes avaient mobilisé l'armée. Si la population accueillit avec un soulagement mesuré les patrouilles de parachutistes ou de chasseurs qui, dans les gares, les aéroports et devant les bâtiments officiels, les ambassades et les consulats, assuraient des rondes, elle ne s'aperçut pas de la multiplication des effectifs. Alerté par ses agents à l'étranger, le ministère de la défense avait renforcé la surveillance et, dans le plus grand secret, autorisé les militaires à porter des armes chargées.
Si la République exhalait des relents de dictature, le "Légionnaire", en grand tribun médiatique, lançait les banderilles, criait haro sur les incapables, stigmatisait les incompétences, jetait le trouble dans les esprits. Sur le terrain, ses troupes noyautaient les cités HLM, les universités, les usines, la police et l'armée ; elles rassuraient le populaire ou les personnes âgées par leur présence et leur écoute, épaulaient le commerçant de quartier contre les harcèlements aveugles de l'administration ou embrigadaient l'ouvrier mécontent dans un syndicalisme radical. Au besoin, les brigades spéciales attisaient les peurs. Là, on allumait un incendie dans un quartier où les soldats du feu ne se risquaient plus, et des pompiers volontaires du parti se précipitaient pour l'éteindre ; ici, on fracturait les appartements des retraités, sachant que ni la police ni les élus locaux ne se déplaceraient pour l'incident.
Et, le lendemain, le représentant de la cellule locale du parti s'enquérait des victimes par téléphone, les garantissant de son soutien, puis joignant le geste à la parole leur envoyait qui un serrurier, qui un vitrier, qui une assistante sociale ; ailleurs, on pactisait avec la pègre de la cité, organisant les guérillas de HLM ou les règlements de comptes entre bandes. Ce militantisme de base porta ses fruits et le nouveau parti s'ancra définitivement dans l'opinion. Enlevant les suffrages dans les zones rurales puis les petites villes, il s'attaqua aux métropoles puis aux régions. Parfois arbitre, parfois seul rempart de la tradition, il conquit des mairies, des sièges de députés à l'Assemblée Nationale et au Parlement Européen. Les circonstances et les erreurs de ses opposants l'aidèrent grandement.
Un bloc "Républicain" formé des partis traditionnels toutes opinions confondues tenta ponctuellement de le contrer. Mais cette alliance contre nature embrouilla plus l'électorat qu'elle ne le convainquit. En devenant le parti à abattre, "Patrie & Nation" recruta de nouveaux sympathisants parmi les rangs de ses adversaires. Certains essayèrent de le courtiser, vainement bien entendu, ce qui le conforta plus encore. Restait le dernier test. Dès le début, le "Légionnaire" caressait un ultime objectif, conquérir la plus haute fonction de l'État. Longtemps considéré impossible par les politologues et les spécialistes de tout acabit, cette éventualité prit pourtant corps, un soir de mai, quand à l'issue du second tour, le "Légionnaire" détrôna contre toute attente son rival, le "Dandy", d'une courte tête, certes, mais à la régulière. Le "Légionnaire" posa le masque sur le sous main en cuir rehaussé de dorures au fer de son bureau ; il avait passé la cape de soie rouge sur ses épaules, ce qui lui donnait une allure de centurion. Une sorte de virgule en or était brodée sur l'épaule gauche. Mais à quoi bon pouvait servir ce déguisement de carnaval dans son actuelle fonction. Son prédécesseur ne lui avait laissé aucune note ou instruction à ce sujet, à croire qu'il s'agissait d'une farce. Après l'euphorie de la victoire, il devait se montrer à la hauteur de l'enjeu, réussir là où tous les autres sans exception avaient échoué. Dans l'autre camp, quelques uns admirent mal la défaite. Des jeunes exaltés, des écologistes, des maoïstes tentèrent de manifester leur réprobation. La police réprima durement. Pour les uns, on assistait aux prémices du fascisme ; pour les autres, c'était la première mesure d'autorité, nécessaire pour mettre fin à une indiscipline endémique et suicidaire.
Il ne s'agit que d'une fiction, en espérant que la réalité ne la dépasse pas.