De la souffrance génocidaire
Le 24 avril 1915, alors que les forces alliées britanniques, Anzac et françaises étaient immobilisées sur la presqu’île de Gallipoli, le triumvirat du Parti Union et Progrès, formé de Talaat, Enver et Djemal ordonnait l’arrestation et la déportation des notables arméniens de Constantinople. Selon les sources 500, 600 ou 300 personnes, des hommes pour la plupart furent les premières victimes de cette rafle, prélude de la grande tragédie, le « Medz Yeghern », la répétition sur les terres de l’Arménie historique de la Shoah que planifiera Hitler.
« Qui se souvient encore de l’extermination des Arméniens ? » C’est ce qu’Adolf Hitler disait en 1939 avant l’invasion de la Pologne. Et pour cause !
En 1915, les Allemands, qui avaient formé et équipé l’armée turque, étaient également présents à ses côtés avec des conseillers militaires. Parmi ces militaires engagés auprès de l’allié turc, on retrouve notamment Rudolf Höss, commandant des camps de concentration et d'extermination d'Auschwitz-Birkenau du 1er mai 1940 au 1er décembre 1943, puis de mai à septembre 1944. Qui peut nier que ce tristement célèbre nazi n’ait pas assisté à la déportation et aux massacres des Arméniens en 1917 ? À la même période, sur le même front, le sous-lieutenant et infirmier militaire Armin Wegner était le témoin de ce génocide. Ses clichés en seront la preuve. Ce même Armin Wegner protestera contre la déportation des Juifs en Allemagne. Le juriste Raphaël Lemkin créera la notion de crime de génocide en 1947 à partir de ses études sur le massacre des Arméniens et les minutes du procès de Soghomon Tehlirian à Berlin en 1921. Acquitté grâce aux différents témoignages à décharge, et notamment l’intervention de Johannes Lepsius, il sera acquitté du meurtre de Talaat Pacha, action pourtant associée à l’opération Némésis[1].
Bien que mort et enterré à Berlin, Talaat Pacha repose dans un mausolée sur la Colline de la Liberté à Istanbul. En 1943, alors qu’elle est au faîte de sa puissance, l’Allemagne nazie avait besoin du soutien de son alliée de toujours la Turquie. Deux ans auparavant, le 5 mai 1941, le gouvernement turc avait appelé sous les drapeaux 20 classes d’hommes non-musulmans de 25 à 45 ans. Le 18 juin 1941, la Turquie signait à Berlin un accord, qui scellait son amitié ancestrale avec l’Allemagne. En 1943, alors que Stalingrad menaçait de tomber, Adolf Hitler rendait à la Turquie les cendres de Talaat. Le persécuteur du peuple juif faisait rapatrier en Turquie les restes du persécuteur du peuple arménien.
Le trait d’union entre les assassins génocidaires prenait alors force de symbole. L’Allemagne n’avait jamais ignoré la tragédie arménienne. Mieux, elle s’en était inspirée pour perpétrer son propre crime en imaginant sa parfaite impunité. Comment aurait-il pu en être autrement alors que les criminels turcs avaient échappé à la justice ? L’histoire en décidera différemment.
Le voile du mensonge et de la négation turque se déchire. Des Turcs courageux osent briser le tabou, parfois au péril de leur vie. L’historien Taner Akçam ou l’éditeur Ragip Zarakolu en sont des exemples. D’autres comme l’avocate Fethiye Çetin redécouvrent leurs racines arméniennes. Combien sont ces crypto-arméniens dans une Turquie qui compte 25 millions de Kurdes et 12 millions d’Alevis actuellement persécutés par le pouvoir central ?
En 2012, Hassan Djemal, le petit-fils de Djemal Pacha, un des inspirateurs du génocide des Arméniens publiait 1915, le génocide arménien. Il ira jusqu’à se recueillir sur le mémorial du génocide en Arménie. Déjà un signe, un signe infime que le mensonge ne peut tenir une éternité.