Mieux vaut en blaguer… à tabac

Ou la concurrence des mémoires tournée en dérision

La force de l’humour juif est de savoir se moquer de soi-même, de Dieu, de la religion, de sa famille, de sa mère, de sa culture sans oublier l’antisémitisme ; bref de tout, sans vulgarité mais toujours avec une grande finesse. L’humour ouvre les portes de l’inconscient. Ne dit-on pas que les Juifs, ne pouvant se confesser, auraient inventé la psychanalyse.

La concurrence des mémoires, redoutée par beaucoup, génère une concurrence des souffrances. Ainsi, ce qui serait interdit pour les uns serait autorisé pour les autres au nom de la liberté d’expression. Peut-on néanmoins rire de la souffrance de l’autre ? Quand une personne tombe dans la rue, certains répriment un rire ou dissimulent un sourire gêné ou non ; quelques-uns se précipiteront pour tendre la main. Est-il raisonnable de se moquer de la détresse d’autrui ?

À la lumière des derniers événements de l’actualité récente, je ne peux m’empêcher de reprendre, en la modifiant quelque peu, cette blague juive citée dans La Bible de l’humour juif de Marc-Alain Ouaknin (Ed. Michel Lafon).

Levon et David se retrouvent assis côte à côte sur un banc du jardin du Luxembourg. Le premier lit un journal turc, le second un journal antisémite. Levon demande à David :

« Pourquoi, toi qui es juif, tu perds ton temps à lire ces bêtises.

- Ah, si tu savais combien cela me rassure de savoir que les Juifs dominent la finance, dirigent le monde, réussissent à faire clouer le bec à un soi-disant humoriste qui fait le Mur et ont dans leur poche juges et ministres. J’en oublie toutes les misères… Et toi, l’Arménien, tu lis bien un journal turc.

- Ce n’est pas la même chose, David. Depuis que la Cour Européenne des Droits de l’Homme a donné raison à Dogu Perinçek, j’ai appris que tout ce qu’on m’avait raconté était faux. En 1915, mes ancêtres ont inauguré les premiers trekkings sur les routes de Syrie. Ils étaient beaucoup plus en sécurité qu’à Koh-Lanta avec tous ces gendarmes. On leur a fait faire du saut à l’élastique sans élastique. Comme ils ne savaient pas nager, on leur a enseigné une nouvelle méthode de natation deux par deux avec un peu de lest pour compliquer. C’est comme ça qu’ils ont connu la plongée. Pourquoi veux-tu que je me plaigne, on leur a payé des vacances à l’œil…

- Je comprends, Levon. En un mot, tu es heureux ! 

- Très heureux. »