Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Arkantz - Blog humaniste & républicain de vigilance
Arkantz - Blog humaniste & républicain de vigilance
Derniers commentaires
Newsletter
3 février 2015

« La vérité n’est pas venue, n’est pas partie : c’est l’erreur qui a changé » - Pessoa

Dans la suite des « Je suis Charlie »…

pub

Le danger du détournement rend aujourd’hui ce slogan, s’il a été sincère pour beaucoup, suspect dans la bouche d’autres. Ainsi, la revendication d’un « Je ne suis pas Charlie » jette l’opprobre sur son auteur comme si ce dernier venait de commettre un crime. Atteindra-t-on l’absurde d’un Dieu que de crimes commis en ton nom en remplaçant Dieu par Charlie. Certes, Charlie n’était pas Dieu, mais plutôt contre (et pas tout contre). Ses fondateurs étaient plus anars que gauchos, plus athées que bouffeurs de curés.

J’ai le souvenir d’une brève rencontre avec Cavanna au Salon du Livre de 1987, soit quelques mois après la mort par overdose de sa petite-fille Marie qui inspira la chanson « L’aiguille » à Charles Aznavour. Nous avions parlé rapidement de Marie et de ses obsèques avant que je ne lui demande un autographe pour son roman « Les fosses carolines ».

Il nous a quitté le 29 janvier 2014…

Les après-Charlie seront le temps des questions, je vous invite à lire la chronique, déjà critiquée, de Delfeil de Ton :

Delfeil De Ton a vécu la grande aventure de l’hebdo satirique. Aujourd’hui, il pleure ses compagnons. Et enrage.
Par Delfeil De Ton

« Hara Kiri », février 1969

À notre mensuel, nous ajou­tons un hebdo que nous appelons « Hara Kiri hebdo» et, peur de rien, nous sortons en même temps un second mensuel que nous appelons « Charlie », sous-titré « Journal plein d’humour et de bandes dessi­nées ». Qui aurait imaginé que quarante-six ans plus tard, « Je suis Charlie » serait proclamé sur quasiment toute la planète et que ce serait parce que « Charlie » aurait vu sa rédac­tion exécutée à l’arme de guerre par des croyants fanatisés ?

À cette époque-là, le grand danger pour la presse d’humour était la censure de l’Etat français. C’était la raison pour laquelle, « Hara Kiri hebdo » ayant été interdit par le pouvoir pompidolien (de Georges Pompidou, si si, il a existé), nous avons changé son nom en « Charlie Hebdo », simple subterfuge, c’était en fait le même hebdo, mais se présentant comme un complément, cette fois, à notre mensuel « Charlie ». « Hara Kiri hebdo » était donc mort, tué par la censure, « Charlie Hebdo » mourut à son tour, après une glorieuse carrière, mais de mort naturelle, trop de ses lecteurs l’ayant abandonné. Les mensuels « Charlie » et « Hara Kiri » disparurent ensuite, ce fut la fin d’une belle aventure de presse, sous la houlette de François Cavanna et du professeur Choron, qui avait duré un quart de siècle.

Ils étaient morts, laissant quelques dettes et beaucoup de regrets, puis un nouveau « Charlie Hebdo », ressuscité onze ans après le premier, est venu en 1992 réoccuper sa place que personne n’avait su prendre. Ses nouveaux collaborateurs, qui abritaient en leur sein nombre des anciens, prirent l’habitude de l’appeler « Charlie », tout court, puisque le mensuel qui portait ce nom avait disparu. Les croyants fanatisés dont nous parlions, après avoir assassiné huit personnes de sa rédaction et gravement blessé plusieurs autres, repartirent après avoir lancé «Allahou akbar» et annoncé qu’ils avaient «tué Charlie».

La rédaction est décimée mais les survivants indemnes ont la bonne réaction, la même que nous avions eue lorsque Pompi­dou, à sa manière douce (vous voyez que vous vous y faites, à ce nom de Pompidou), avait voulu lui aussi tuer notre journal. « Charlie Hebdo » ressort une semaine après la tuerie, sans la moindre interruption. C’était la réponse à donner aux tueurs, comme ça avait été celle à donner aux censeurs. Bravo les gars et les greluches, et c’est peu dire que nous vous souhaitons longue vie et tout le succès.

Ce sera dur, surtout au début, mais vous avez vraiment beau­coup de monde avec vous. En 1970, nous avons eu le soutien de la profession. C’était beaucoup. Vous avez celui du gouverne­ment, de l’ONU, du Comité international olympique, le deuil national a été décrété en France pour honorer vos morts et le président de la République, parlant de vos camarades disparus, a déclaré : « Ce sont aujourd’hui nos héros. »

Je n’aime pas trop quand un chef d’Etat parle de morts comme de héros. C’est habituellement parce que ces citoyens-là ont été envoyés à la guerre et n’en sont pas revenus, ce qui est un peu le cas des victimes de l’attentat contre «Charlie Hebdo». Cet attentat entre dans le cadre d’une guerre déclarée à la France mais aussi dans celui de guerres que mène la France, se mêlant d’intervenir militairement dans des conflits où sa participation ne s’imposait pas, où des tueries pires encore que celle de « Charlie Hebdo » ont lieu tous les jours, et plusieurs fois par jour, et auxquelles nos bombarde­ments ajoutent des morts aux morts, dans l’espoir de sauver des potentats qui se sentent menacés, pas plus recommandables que ceux qui les menacent, dont le pouvoir s’est certainement assis sur le versement de beaucoup de sang et qui décapitent aussi bien que leurs adversaires, torturent et tranchent mains et pieds au nom d’Allah, comme leurs adversaires, et pourquoi donc, grands dieux, notre République, si fière d’être laïque, va-t-elle choisir entre ces secta­teurs qui brandissent pareillement d’une main le cimeterre, de l’autre le Coran ?

Si Barack Obama n’avait pas retenu notre François Hollande, celui-ci partait en Syrie à la chasse de Bachar al-Assad, comme Sarkozy son prédécesseur est parti à la chasse en Libye de Mouammar Kadhafi, qu’il a éliminé, mais avec le résultat que l’on sait. Combien de Syriens la France aurait-elle tués et probablement tuerait-elle toujours ? Laisser les peuples disposer d’eux-mêmes, n’est-ce pas un principe sacré ?

S’ils sont en guerre intestine, de quel droit nous en mêler ? Nous ne comprenons rien à leurs querelles, nous ne fai­sons que les faire durer davantage et il nous faut nous étonner, ensuite, s’ils les transportent sur notre sol ?

Wolin est mort dans l’attentat. Georges Wolinski. Quand sa mort a été confirmée, mes bras se sont mis à trembler. Cavanna l’aimait tant. Cavanna mort l’an dernier, 29 janvier, à qui je pense tous les jours et qui aurait été tué, lui aussi, s’il avait été encore là, et voilà qu’il me faut me réjouir qu’il soit mort de sa belle mort. «Aucune mort n’est belle, Delfeil », je l’entends qui me dirait ça. Un lecteur m’envoie une photo qu’il a prise ce printemps, c’était à Nogent-sur-Marne, sa ville natale qui célébrait le sou­venir de Cavarma. De « Hara Kiri », étaient présents Wolin et moi. C’était dans la bibliothèque municipale, déjà de son vivant Bibliothèque François-Cavanna, elle était remplie de Nogentais venus nous écouter parler de lui. La photo montre Wolin lisant un texte de Cavanna et moi qui ris aux éclats. Dernière fois que j’ai vu Wolin. Les journalistes, quand on ne travaille pas dans les mêmes journaux, c’est toute une affaire de se voir. Après avoir été désagréable pour François Hollande, je vais être désagréable pour Charb.

Charb ? Le premier assassiné par les tueurs ? Celui qu’ils recherchaient nommément ?

Oui, celui-là. Je sais, ça ne se fait pas. J’ai trop de peine. Et quand je rencontrais Charb, je ne lui cachais pas ce que je pen­sais. Lui, tout pareil. Ce gars était épatant. Ce que j’appréciais le plus, c’était sa franchise. Je vais être franc avec lui et il m’écouterait, peut-être même, cette fois, serait-il d’accord avec moi, cette tête de lard. C’était une tête de lard.

Il était le chef. Quel besoin a-t-il eu d’entraîner l’équipe dans la surenchère ? Novembre 2011, premier attentat contre « Charlie Hebdo », incendie des locaux après un numéro surtitré « Charia Hebdo ». Je reprends les propos filmés de Wolinski, que je repris alors dans « l’Obs » : « Je crois que nous sommes des inconscients et des imbéciles qui avons pris un risque inutile. C’est tout. On se croit invulnérables. Pendant des années, des dizaines d’années même, on fait de la provocation et puis un jour la provocation se retourne contre nous. Il fallait pas le faire. »

Il fallait pas le faire mais Charb l’a refait. Un an plus tard, septembre 2012, après une provocation qui avait fait mettre nos ambassades en état de siège dans les pays musulmans, déployer toutes nos polices dans nos villes, je fus amené à écrire, m’adressant à Charb, toujours dans « l’Obs » : « Se situer à l’extrême gauche et s’entendre dire par le NPA qu’on “participe à l’imbécillité réactionnaire du choc des civilisa­tions”, se définir écologistes et être traités de “cons” par Daniel Cohn-Bendit, ça devrait donner à réflé­chir. Surtout quand dans le même temps on est applaudi par la famille Le Pen, Rioufol du “Figaro” et le Premier ministre de Sarkozy. »

Je posais la question à Charb : « Sous le titre “Mahomet : une étoile est née”, montrer un Mahomet nu, vu de trois quarts dos, en position de prière, couilles pendantes et vit gouttant, en noir et blanc mais avec une étoile en jaune à l’anus, tournez-le dans tous les sens, en quoi est-ce drôle, spirituel?» C’était ce qu’on voyait dans ce numéro de « Charlie Hebdo ».

La police avait alors arrêté un homme venu pour tuer Charb avec un couteau. Charb et un ou deux autres étaient protégés par des gardes. Tous ne l’étaient pas, et surtout pas Cavanna, qui se déplaçait dans son quartier Maubert avec son parkinson, devenu si fragile, et qu’une simple poussée aurait envoyé à l’hôpital et c’était sa fin. J’en étais malade. Charb disait à une journaliste du « Monde » : « Je n’ai pas de gosse, pas de femme, je préfère mourir debout que vivre à genoux. » Cavanna, qui haïssait la mort, écrivait, à l’âge de Charb : « Plutôt rouge que mort » Les rouges ne sont plus rouges, les morts sont toujours morts.

Tout le monde a vu le dernier dessin de Charb : « Tou­jours pas d’attentats en France ?» Et le djihadiste du dessin, armé comme celui qui a tué Charb, Tignous, Cabu, Honoré et les autres, répond : « Attendez ! On a jusqu’à la fin janvier pour présenter ses vœux… » Avez-vous vu le dernier dessin de Wolinski ? Il se termine par : « Je rêve de retourner à Cuba, boire du rhum, fumer un cigare et danser avec les belles Cubaines. »

Charb qui préférait mourir et Wolin qui préférait vivre. Je t’en veux vraiment, Charb. Paix à ton âme.

Delfeil de Ton
Source : L’OBS, N°2619, le 14/01/2015

Publicité
Commentaires
Arkantz - Blog humaniste & républicain de vigilance
  • Arkantz est mon nom de plume. S'il commence par A et finit par Z, ce n'est pas un hasard mais un hommage à un artiste auquel je suis apparenté. Consultant-formateur engagé, je m'inscris dans une vision laïque, humaniste et écologiste de la société.
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
Archives
Publicité