L’oligarchie contre le peuple ?
En perspective des résultats du BREXIT, Jacques Attali préconisait, le 20 juin 2016 sur le Blog de l’Express, de « Sanctuariser le progrès ».
On entend par « sanctuariser » rendre ou déclarer inviolable un territoire afin que l’ennemi ne puisse en temps de guerre y exercer des représailles comme si ce territoire était un sanctuaire.
Un sanctuaire (étymologiquement issu du mot saint) est un lieu consacré par la religion. Ce peut être aussi la partie d'une église où se trouve le maître-autel. Au sens figuré, un sanctuaire désigne un asile, à savoir un lieu qui doit être considéré comme inviolable.
Le progrès peut être défini par le fait d'avancer, d’un mouvement en avant, une progression. Il peut s'agir également d'atteindre vers un degré supérieur, de s'étendre, de s'accroître par étapes.
On appelle progrès l’évolution régulière de l'humanité, de la civilisation vers un but idéal ou la transformation vers un mieux dans un domaine donné, l’évolution vers un résultat satisfaisant, favorable.
Il peut s’agir aussi de l’amélioration de quelqu'un dans le domaine des connaissances, des compétences ou ce qui marque une étape dans le sens d'une amélioration.
Mouvement vers l’avant ou vers le haut, amélioration ou évolution, le progrès est considéré par beaucoup comme positif.
Pourquoi « sanctuariser le progrès » ?
Poser le principe revient à tirer un signal d’alarme sur la fragilité du progrès ou plutôt des acquis de ce progrès. Jacques Attali tient pour irréversible certains domaines du progrès et craint leur remise en cause. Qui ne serait pas sensible à cette idée ? Le problème est qu’il pose la question dans un cadre bien défini, celui de la construction européenne, plus communément connue sous le terme d’Union Européenne. L’UE serait pour lui irréversible, un acquis du progrès de la civilisation européenne que nul ne pourrait contester, y compris les peuples.
Sanctuariser le progrès signifierait donc de rendre inviolables des principes, des idées ou l’existence d’institutions quand bien même ces mêmes principes, idées ou existence d’institutions deviendraient totalitaires ou hégémoniques. N’est-ce pas contester aux peuples le droit de s’exprimer ? N’est-ce pas choisir pour le peuple les questions sur lesquelles il serait admis à se prononcer ? N’est-ce pas purement un déni de démocratie ?
La cible de son argumentaire est d’abord le BREXIT. La crainte que le Royaume-Uni ouvre la voie à la contestation de l’existence de l’UE hante l’esprit de l’ancien conseiller de François Mitterrand. Il faut néanmoins être aussi sourd qu’aveugle pour ne pas être interpelé par les propos « dictatoriaux » d’un Jean-Claude Juncker recommandant aux dirigeants européens de ne pas consulter les peuples par des référendums tout en insistant sur la primauté des textes européens sur les législations nationales.
Lorsqu’en secret des technocrates européens discutent du traité transatlantique dans la plus parfaite opacité, comment ne pas s’inquiéter de la perspective de son quotidien ? Doit-on laisser les lobbys et autres multinationales imposer leurs lois ?
Si Jacques Attali considère comme progrès l’UE qu’il appelle Europe, alors il est soit de mauvaise foi, soit complètement inconscient. L’UE a maintenu la paix en Europe, dixit les européistes convaincus. Certes, depuis 1945, la France et l’Allemagne ne se sont pas fait la guerre, mais la guerre a frappé dans les années 1990 le cœur de l’Europe, dans les Balkans. L’Europe n’a pas empêché l’occupation de Chypre par la Turquie. L’Europe n’a pas réglé le problème irlandais sans effusion de sang. L’Europe n’a pas su se créer une défense commune, en s’abritant sous le parapluie américain. L’Europe a laissé l’OTAN repousser ses bases plus à l’est. Enfin, l’Europe s’est coupée de la Russie, pourtant partenaire incontournable et pays historiquement européen.
Peut-on vraiment vouloir défendre cette « Europe-là » ?
Jacques Attali se trompe encore lorsqu’il dit que : « Admettre que rien n’est acquis, peut conduire, à revenir au temps où la raison et la liberté étaient écrasées par la foi et le fatalisme et, en utilisant les armes de la démocratie, à la détruire. » Rien n’est acquis en fait. La réalité, c’est l’impermanence. Il se tait sur la remise en cause des « acquis sociaux » non par le peuple mais par l’inique Loi Travail, portée par le gouvernement Valls. On aurait aimé voir sur ce point un Jacques Attali plus juste, pas un Jacques Attali partial.
Jacques Attali admet que certains sujets doivent être « sanctuarisés ». Mais qui s’arrogerait ce droit ? Ne serait-ce pas priver le citoyen de tout pouvoir de décider, que de décider pour lui sur quels sujets il pourrait exercer son pouvoir de décision ? Considérer comme infantiles ses contemporains n’est-ce pas une forme de mépris envers ses semblables ?
Il avoue néanmoins que : « Certains ne verront dans cette prise de position qu’une tentative désespérée d’une oligarchie dépassée pour maintenir un ordre démodé, en méprisant les désirs des peuples. » Alors pour se dédouaner, il précise : « Il s’agit au contraire de donner aux peuples le temps de réfléchir aux conséquences de ses actes et d’éviter qu’une génération, par caprice, ne détruise ce que les précédentes ont voulu laisser aux suivantes. »
Agiter le chiffon rouge de la peur qu’exercerait le peuple sur la société n’est-ce pas une façon plus correcte politiquement parlant que la frayeur du bolchevik avec le couteau entre les dents ?
Le référendum britannique, quel qu'en soit le résultat, constitue un tournant idéologique majeur dans l'histoire de l'Occident. Un tournant vers le pire, si l'on n'en pèse pas toutes les conséquences. Jusqu'ici, on considérait certaines évolutions institutionnelles, économiques, sociales, scientifiques, comme des avancées telles que, une fois qu'elles étaient installées, nul ne chercherait plus jamais à les remettre en cause, même pas par un vote démocratique.
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