Si vous étiez née en 1915 à Adana…
24 avril 1915 - 24 avril 2020
Souvenons-nous...
Génocide des Arméniens, Assyro-Chaldéens et Grecs pontiques
Lettre ouverte à Madame la Sénatrice Paulette BRISEPIERRE (Groupe UMP)
suite à son interview du 24 octobre 2006
Madame la Sénatrice,
Si vous étiez née en 1915 à Adana…
Aujourd’hui, seriez-vous encore de ce monde pour témoigner ?
Peut-être pas !
L’aberration, s’il y en a une, n’est pas l’initiative des députés français d’avoir voté une proposition de loi pour la condamnation de la négation du génocide des Arméniens, le 12 octobre dernier.
L’aberration, c’est de lire des propos comme le vôtre. C’est également à la fin des années 80 (au siècle dernier, mais pas si loin que ça) l’impassibilité du monde et notamment de certains de vos collègues lors des pogroms anti-arméniens de Soumgaït ou de Bakou, écœurantes répétitions du génocide oublié de 1915. Et, si un certain Gary Kasparov, champion d’échecs n’avait pas dû fuir son Azerbaïdjan natal à cette époque, il est vraisemblable que le crime des azéris, qui voudraient aujourd’hui faire reconnaître un génocide perpétré par les Arméniens, serait passé inaperçu.
L’aberration, c’est d’accepter que la Turquie « laïque » et musulmane, cet « exemple de démocratie » ait été conviée à la table des négociations par les 25 États de l’Union Européenne alors qu’elle refuse toujours d’en reconnaître un, Chypre.
L’aberration, c‘est de laisser se développer en Occident, et plus particulièrement au sein de l’Union Européenne, la plus vaste et dangereuse opération de propagande négationniste orchestrée par l’État turc, laissant désarmées nos institutions démocratiques.
L’aberration, Madame, c’est que la leçon n’a pas été comprise. Qu’il est illusoire de dire que des écoles ont été données par la Turquie aux communautés religieuses. Ces écoles ont été tolérées ; elles sont intégralement financées par les communautés elles-mêmes, et ont été maintes fois menacées de fermeture ou de saisie ; et pour votre gouverne, leur directeur est toujours désigné par le gouvernement turc, et qu’il n’appartient jamais aux dites communautés, puisque obligatoirement turc et musulman. Cela s’appelle en français une tutelle.
Quant à la francophilie française de la Turquie, elle relève de la légende ou du passéisme. Certes, la France bénéficiait d’une aura prodigieuse auprès de nombreux peuples. Dans l’Empire ottoman, ce sont plus particulièrement les minorités religieuses qui voyaient en la France le phare de la Liberté et de la Tolérance. Dois-je vous rappeler qu’en 1862, quand la ville arménienne de Zeïtoun en Cilicie fut assiégée par l’armée ottomane, les notables de cette ville envoyèrent en France une délégation auprès de Napoléon III. Que le délégué arménien, le prêtre Krikor Apartian fut reçu à Paris par les autorités françaises pour plaider la cause des siens. C’est ainsi qu’il put les sauver du massacre. Cette aura de la France ne s’arrêtait pas à Constantinople, elle avait pénétré les provinces orientales de l’Empire, jusqu’à la communauté de ces montagnards arméniens qui appartinrent au Moyen-Age au Royaume franco-arménien de Cilicie ou de Petite Arménie, dont le dernier roi Léon V a son cénotaphe dans la crypte royale de la Basilique de Saint-Denis.
Alors, oui, Madame, il ne faut pas regarder vers le passé. Mais sans apurer ce passé, rien ne peut se construire de solide dans le présent.
Avec tous mes respects,
Carl E. ARKANTZ
Ecrivain
www.arkantz.com
Le 20/11/2006