Neige d’Orhan Pamuk… Une parabole sur la Turquie ?
Les dernières élections législatives anticipées en Turquie ont vu la victoire de l’AKP, le parti islamiste « modéré » de Recep Tayyip Erdogan. Le nouveau premier ministre turc qui se succède à lui même est encore le maître du jeu. N’avait-il pas provoqué ces élections suite à l’accession manquée à la présidence de la République de son ministre des affaires étrangères Abdullah Gül ? Les menaces interventionnistes de l’armée, garante du laïcisme n’étaient pas étrangères à l’affaire.
Dans son roman Neige publié en France par Gallimard (en poche par Folio) – est-ce vraiment un roman ? – Orhan Pamuk, prix Nobel de Littérature 2006, évoque une situation de crise à Kars où nationalistes laïcs et islamistes s’affrontent sur fond de suicides de femmes voilées. Aux attentats commis par les partisans d’un islam pur et dur répond un putsch mené par un comédien qui tient plus du clown pitoyable que du dictateur sanguinaire.
Avec le style inimitable du conteur oriental aux phrases longues et riches, Orhan Pamuk nous entraîne dans les pas de son héros le poète Ka qui n’est pas sans rappeler K de Kafka. Envoyé spécial du journal Cumhuriyet, il vient enquêter sur la vague de suicides de femmes et couvrir les élections municipales.
Orhan Pamuk ne manque pas de rappeler que Kars fut une ville autrefois arménienne ; il cite Ani, ancienne capitale du royaume d’Arménie et ses églises millénaires ; il va même jusqu’à se demander par la bouche d’un de ses personnages ce que sont devenus les millions d’Arméniens qui vivaient en Turquie ; il soulève la question du port du voile (le charchaf) et aborde également le problème kurde.
L’écrivain avait été menacé de mort pour avoir évoqué le massacre des Kurdes et le génocide des Arméniens. Il avait été mis en examen par la justice turque fin août en 2005. S’agissant d’un des plus grands écrivains turcs contemporains, on pouvait s’inquiéter du sort qu’on lui réservait. Il fut acquitté en septembre. Ailleurs, on se serait épargné un procès. Il y a bien d’autres moyens d’étouffer la vérité. On se souvient de Hrant Dink assassiné à Istanbul le 19 janvier 2007 par un nationaliste turc.
Neige, Prix Médicis Etranger 2005 est un grand roman où la neige joue un rôle majeur. Mais plus qu’un roman c’est une véritable parabole qui permet de mieux comprendre la Turquie d’aujourd’hui avec ses contradictions.
Carl E. Arkantz
Neige
Orhan Pamuk
Traduit du turc par Jean-François Pérouse
Folio
ISBN 978-2-07-034454-3
À noter : La photo de couverture de l’édition française est d’Ara Güler, photographe turc d’origine arménienne.