Un décret légal… Un vote illégal
Un seul peut-il avoir raison contre tous ?
Philppe Noiret dans Le Désert des Tartares de Valerio Zurlini (roman de Dino Buzzati)
Afin de réparer les horreurs de Staline, Nikita Khrouchtchev offrait en 1954 la Crimée, conquise par la Russie par Potemkine sous le règne de la Grande Catherine, à l’Ukraine dont le premier secrétaire se sentait proche par le cœur. Était-ce également pour racheter la déportation des Tatars de Crimée, décidée par le petit père des peuples qui désirait punir les « collaborateurs » des nazis ? Si une minorité de Tatars, comme d’autres peuples de l’Union soviétique, fut embrigadée dans l’armée Vlassov, ce fut la communauté toute entière qui paya la « faute » de quelques-uns. Les règlements de comptes après la Libération de la France ne furent-ils pas aussi discutables ?
En remontant plus loin dans le passé, il ne faut pas oublier que les Tatars, descendants des Mongols, faisaient régner la terreur sur les populations des pays conquis. Le repli communautaire des uns comme des autres aura du mal à rassembler ceux que les plaies de l’histoire n’en finissent pas de rejeter les uns contre les autres.
Il aura fallu d’un décret de huit lignes pour que la Crimée passe du giron russe à celui de l’Ukraine. La volonté du seul secrétaire du PC du l’URSS scellait le destin d’une province liée à Moscou en la forçant à partager celle de son voisin de Kiev. Certes, à cette époque, la Russie comme l’Ukraine faisaient partie de l’Union soviétique, patchwork de 15 Républiques qui s’imaginait éternelle. Mais, cette « éternité » devait s’éteindre en 1991.
Si en 1954, on n’avait pas demandé à la population de Crimée son choix, en décidant arbitrairement de son statut, on conteste aujourd’hui le vote massif pour son retour à la Russie. Bien sûr, on ira prétendre que ce référendum n’était pas libre, organisé sous la tutelle russe et l’omniprésence de soldats envoyés par Moscou et de miliciens acquis à Vladimir Poutine. À cela, on pourra répondre qu’à Kiev, un semblant de démocratie populaire a conquis le pouvoir en toute légalité, alors qu’on peut s’interroger sur les agissements occultes de factions ayant mis l’huile sur le feu pour empêcher la formation d’un gouvernement d’union nationale. Que les apprentis sorciers qui ont gratté les allumettes cessent de jouer les pompiers de service, quand ils pouvaient éviter le pire lorsqu’il en était encore temps.
L’Ukraine n’intéresse l’Occident que pour sa position stratégique qui permet de créer un cordon de sanitaire autour de la Russie, dans un premier temps. Ensuite, il sera facile d’exploiter la pauvreté en Ukraine afin de profiter d’une main d’œuvre bon marché en délocalisant les entreprises vers ce nouvel Eldorado. Enfin, en s’assurant un nouveau marché, nos apprentis sorciers pourront engranger des bénéfices en vendant à quelques privilégiés des biens dont personne n’a vraiment besoin mais qui donnent tellement l’impression d’exister. Le réveil sera alors bien dur pour ce malheureux peuple qui aura cru en une liberté bien illusoire, mais ô combien enrichissante pour une petite minorité qui aura su tirer les ficelles.